Entretien avec Alizé Sibella, doctorante

«Ma recherche consiste à explorer comme, en tant que citoyen, on peut collaborer sur un projet avec des institutions, en ayant le moins d’obstacles possible et comment, en tant qu’institution, on peut inclure un maximum de personnes citoyens.»

Dans cet entretien que la doctorante Alizé Sibela a accordé au Culture Media Lab, elle raconte sa recherche en cours, autour du patrimoine nantais, les conditions d’accès à ses ressources et archives, et le travail mis en place par Nantes Patrimonia pour inclure les citoyens dans une politique participative et inclusive.

Vous réalisez votre thèse « La co-construction et valorisation numériques des patrimoines nantais » avec la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie de la ville de Nantes/Nantes Métropole, la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie et en collaboration avec le laboratoire DICEN-IdF de l’Université de Paris Nanterre. Pouvez-vous nous en dire un peu sur votre sujet ?

Ma thèse porte sur la co-construction et la valorisation du patrimoine nantais en lien avec l’étude d’une plateforme contributive culturelle, à savoir Nantes Patrimonia, gérée par la ville de Nantes. Afin d’informer les citoyens, cette plateforme propose des contenus patrimoniaux (parmi lesquels) des parcours découverte, des articles thématiques, des articles d’actualité et une carte interactive. L’objectif est de rendre accessible à tous les informations autour des patrimoines, de susciter et valoriser la contribution citoyenne et de partager et transmettre l’histoire de la ville. Les contributions sont conçues par des contributeurs variés (associations, particuliers, institutions et professionnels du patrimoine) encadrés par la ville de Nantes. Ce projet est né du constat que les dispositifs participatifs numériques ont pris une place de plus en plus importante, et plus particulièrement dans les politiques publiques patrimoniales de la ville de Nantes et de la métropole. Dans le cadre de ma thèse Cifre et durant les trois années à venir, je vais étudier les dynamiques des pratiques culturelles passées mais également actuelles, que ce soit au niveau de la participation, de la construction, de la transmission, de la valorisation des patrimoines sur le territoire nantais, national et international. Je vais aussi m’intéresser à l’apport du numérique dans un contexte de médiation et également de valorisation. Enfin, je porterai un questionnement sur la manière dont les solutions numériques favorisent l’engagement citoyen dans la définition des patrimoines. Cela m’amènera à étudier le rôle des nouvelles technologies dans le processus de participation et à leur réappropriation. Se pose dans le cadre de ce projet porté par une politique publique de la ville la question de la légitimé des institutions publiques et également celle des citoyens.

De quel type de légitimité parlez-vous ? Ou sur quel champ ?

Je veux parler de la légitimité des institutions publiques à porter, animer et gouverner ce genre de dispositif numérique participatif avec les citoyens. L’objectif sera notamment d’analyser le rôle et la place des structures institutionnelles et non institutionnelles dans le cadre de démarches participatives. Cette problématique sera aussi abordée sous l’angle des citoyens, en mesurant leur sentiment de légitimité quant à la transmission de leurs connaissances du patrimoine dans une démarche institutionnelle.

Comment a émergé ce sujet de thèse ?

J’ai répondu à un appel d’offres de thèse. Lors de mon master 2 de l’an dernier, un de mes enseignants, Emmanuel Château-Dutier m’a transmis cet appel. Dans le cadre de l’observatoire des plateformes contributives culturelles porté par le projet ANR Collabora, Marta Severo, directrice de cette thèse et Emma Filipponi ont étudié les dynamiques et les espaces numériques de co-construction des connaissances autour de l’histoire, des patrimoines et des mémoires nantais. Suite à leur collaboration, la Ville de Nantes a créé un poste de thèse CIFRE pour approfondir les recherches. De mon côté, j’ai affiné un sujet qui était déjà en gestation. L’analyse des plateformes et pratiques collaboratives est un champ largement en développement. Mais étrangement, peu de recherches académiques se sont intéressées au cas des collectivités territoriales. C’est donc une ouverture que propose votre thèse ? C’est vrai. Il y a très peu de recherches qui ont été menées sur les institutions publiques. Il y en a eu sur les bibliothèques, sur les centres d’archives, sur les musées… Mais très peu sur les villes.

Alors, d’après vous, aujourd’hui, quelles sont les particularités du travail collaboratif d’une ville ?

De mon point de vue, les villes rencontrent beaucoup de difficultés, notamment après un contexte de crise et par conséquent de phénomènes de transitions sociétales importants, dont les premiers enseignements montrent combien les pratiques culturelles restent fragiles. La crise a révélé ou amplifié les inégalités voire accentué des fractures sociales mais en même temps a révélé de nouvelles solidarités ou appétences des communautés à s’adapter collectivement. Les pratiques numériques dans l’univers de la culture et des patrimoines, que ce soit dans l’offre comme dans la demande, ont considérablement évolué en quelques mois.

Vous étudiez particulièrement la ville de Nantes. Elle semble être en avance sur ces pratiques. Que peut-on dire de sa politique dans ce domaine ?

Effectivement, la Ville de Nantes mène depuis de nombreuses années une politique publique visant à préserver, connaître, faire connaître et valoriser les patrimoines nantais dans leur plus grande diversité : végétal, paysager, archéologique, architectural, immatériel, mémoriel, archivistique… En réaffirmant le droit pour chacun d’exprimer ce qui fait patrimoine, la Ville de Nantes s’est donnée pour ambition d’offrir des espaces d’expression et de valorisation, croisant les regards et les sensibilités des professionnels et des amateurs, des experts et des simples passionnés. Au-delà de l’enjeu patrimonial, ces espaces d’échange ont une forte dimension citoyenne et urbaine, car ils permettent de nourrir les débats sur la ville et le cadre de vie de chacun. Ils visent à rendre les Nantaises et les Nantais acteurs de la vie de leur ville, de leur quartier, par des sujets qui les rassemblent et leur ressemblent.

Quel est votre terrain ? À partir de quelles ressources travaillez-vous ?

Ma thèse vient de commencer. Ce travail de thèse s’appuiera sur une recherche-action évaluative et prospective au sein de la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie. J’ai concentré mes efforts pour étudier les outils de médiation utilisés par la Direction du patrimoine et de l’archéologie. J’observe d’abord comment elle communique avec ses citoyens et pour eux. Ensuite, j’analyse les usages que les citoyens peuvent faire de ces outils. J’ai la chance de bénéficier d’un accès large et libre aux bases de données, et peu de restriction. J’ai trouvé dans la ville de Nantes et la Métropole des acteurs eux-mêmes très collaboratifs. Ici, aussi, c’est un vrai travail que nous faisons ensemble.

Qu’espérez-vous découvrir lors de ce travail de recherche ?

Je souhaite faire avancer la recherche dans ce domaine, en y ajoutant une part d’analyse sur la pratique des villes. Mais aussi voir comment, en tant que citoyen, on peut collaborer sur un projet avec des institutions, en ayant le moins d’obstacles possible et être en mesure d’inclure un maximum de personnes. L’accessibilité pour tous, c’est un sujet qui m’intéresse énormément. Mais également, la capacité à fédérer des communautés autour des sujets du patrimoine rattachés à l’institution. J’ai une curiosité particulière aussi, pour le développement des outils numériques. Il y a énormément à dire sur ce sujet. Ma recherche commence maintenant.

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